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Les femmes et l'IA : briser les codes !

3 mai 2024

Tu as certainement entendu parler de l’intelligence artificielle (IA) depuis le lancement de ChatGPT à la fin de l’année 2022, avec qui tu peux échanger par messages comme tu le ferais avec un copain. Mais cette technologie se retrouve partout : c’est par exemple elle qui te recommande des vidéos sur Youtube, qui traduit des textes sur Google Translate, etc. Elle est même utilisée dans l’industrie ou dans la recherche scientifique !

Ces intelligences artificielles sont basées sur l’informatique et nécessitent une puissance de calcul gigantesque et de grandes quantités de données. Mais elles reposent surtout sur les humains qui les créent, les développent et les nourrissent de toutes les informations sur lesquelles elles s’entraînent à réaliser des tâches que l’on pensait inaccessibles aux machines.

Mais pas de tous les humains… il manque les femmes !

« Le secteur de l'intelligence artificielle est aussi masculin qu'un bar [...] le soir d'un match de [foot] »

L'intelligence artificielle, pas sans elles ! Aude Bernheim et Flora Vincent, Belin, 2019

Pour mieux comprendre pourquoi, le Sénat, à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes 2024, a organisé un colloque « Femmes et IA : Briser les codes » autour de ces trois questions :

  • Pourquoi il y a si peu de femmes dans les métiers de l'IA ?
     
  • L'IA est-elle sexiste ?
     
  • Comment faire de l'IA un atout pour l'égalité entre les femmes et les hommes ?

Le Président du Sénat, Gérard Larcher, a introduit le colloque ainsi :

« À première vue, la technologie, à l'instar des anges n'a pas de sexe. L'intelligence artificielle est essentiellement perçue à travers l'emploi, l'économie, la souveraineté ou encore la cybersécurité [mais] l'intelligence artificielle [doit aussi être étudiée] en termes de parité [femme-homme et] d’égalité d'accès à l'emploi. »

C’est donc une question majeure pour l’avenir, surtout que certains emplois aujourd’hui menacés par l’IA sont majoritairement occupés par des femmes. Les chiffres sont alarmants :

« […] seulement 20% des employés occupant des fonctions techniques dans les entreprises d'apprentissage automatique sont des femmes. 12% des chercheurs en intelligence artificielle au niveau mondial. Et 6% des développeurs de logiciels professionnels […] Je crois que l’IA peut être une chance pour les femmes comme pour les hommes. […] Le défi est de taille et doit nous mobiliser dans tous les secteurs, que ce soit à l'école, à l'université [et] dans les familles pour [qu’] il n’y ait pas une forme de stéréotype anticipé [qui ferait croire que l’IA est un métier réservé aux hommes]. »

G. Larcher

Voir l'intégralité des tables rondes sur le site vidéo du Sénat

Pourquoi il y a si peu de femmes dans les métiers de l'IA ?

Le constat est que, même si les filles sont scolairement bonnes dans toutes les disciplines, il arrive un moment où elles délaissent les matières scientifiques et le monde de l’ingénierie. Souvent parce qu’elles sont amenées à croire que ce n’est pas pour elles. On appelle cela un « stéréotype social », c’est-à-dire une idée reçue dans la société qui ne repose sur aucune réalité.

Des études dans de nombreux pays, montrent que se mettent très tôt en place ces stéréotypes sur ce qu’est un métier d’homme ou de femme.

« [si] un garçon dit « J’ai décidé de faire des études d’histoire » […] on lui dit « c’est dommage quand même, tu pourrais faire ingénieur » en revanche si la fille est bonne en tout dit « j’ai décidé de faire des études d’Histoire de français ou de philosophie » on lui dit « l’essentiel c’est que tu t’épanouisses ma fille » [et si elle dit qu’elle veut devenir ingénieur] on lui dit que c’est extrêmement dur [parce que c’est un monde très sexiste] »

Elyes Jouini, titulaire de la chaire Unesco « Femmes et Science » à l’Université Paris-Dauphine.


Un constat renforcé aussi par les participants au colloque dont le sénateur Stéphane Piednoir, ancien prof de maths, qui propose que de « s’enfermer pour les filles dans un cursus entièrement scientifique peut faire peur » alors qu’elles ont souvent envie, sont ouvertes et compétentes à la fois dans plusieurs autres matières (lettres, histoire, …). Les garçons, eux, auraient souvent des profils plus pointus dans des domaines plus restreints, souvent techniques, technologiques, mathématiques.

Les filles, les jeunes femmes, les étudiantes, n’osent pas et ne sont pas encouragées et il faut donc leur donner à la fois envie de rejoindre les filières technologiques et sécuriser leur parcours d’étude.

« […] le but est d’avoir des femmes ingénieures qui soient au cœur du réacteur pour construire les algorithmes [à la fois en technique mais aussi en marketing] parce qu’on a besoin de la diversité qui est source de performance »

Hélène Deckx Van Ruys, directrice RSE et copilote du groupe Femmes et IA au Laboratoire de l’égalité

« […] dans les années 80, l’informatique était une discipline de service [où travaillaient plus de femmes qu’aujourd’hui dans le domaine de l’intelligence artificielle]. Elle devient une discipline reine […] un enjeu de pouvoir et, comme par hasard, les femmes s’en retrouvent évincées » reprend Elyes Jouini avant de conclure la table ronde en disant qu’il faut aussi qu’à l’entrée des écoles d’ingénieur où s’apprend l’IA soient prises en compte les compétences « littéraires » en plus des capacités purement scientifiques.

L’IA est-elle sexiste ?

Comme nous l’avons déjà vu, l’IA est une machine et une machine ne peut pas, par elle-même, être sexiste, c’est-à-dire faire une différence entre hommes et femmes et moins bien traiter l’un ou l’autre. Le problème vient de la façon dont les IA sont programmées et surtout des données sur lesquelles elles s’entraînent. Comme le remarque la sénatrice Laure Darcos :

« Le manque […] de parité [homme-femme] dans le secteur de l'IA accroît le risque [qu’elle soit programmée] au détriment des femmes mais aussi de la performance de l'IA. […] on sait que les logiciels de reconnaissance faciale reconnaissent davantage les hommes blancs que les femmes noires. »

Autre exemple cité par le sénateur Stéphane Piednoir, Président de l’OPECST :

« […] si on demande à l’IA de représenter une personne exerçant tel ou tel métier […], vous aurez presque toujours UN médecin et UNE infirmière, UN PDG et UNE secrétaire. Les IA amplifient et reproduisent les stéréotypes [idées reçues].»

« Parce que, contrairement à l’informatique classique, on ne commande pas l’IA mais elle fait les règles toute seule à partir des données qu’elle reçoit lors de son entrainement. Si les statistiques lui disent que 90 % des secrétaires sont des femmes, elle se crée un monde où le fait qu’il y ait des hommes secrétaires n’est presque pas vrai. »

Jessica Hoffmann, qui est responsable IA chez Google, dit, à propos d’un recrutement où on fait intervenir l’IA :

« […] s’il y a eu des discriminations [de genre] avant, l'algorithme va apprendre tout seul qu'être une femme, ce n’est pas bien […] il y a une candidate qui arrive et l'algorithme va lui donner un mauvais score. Un score moins bon que si c'était un homme. Donc c'est mathématique. L’IA va refléter [l’idée véhiculée par les] données. Donc à la question, l’IA est-elle sexiste ? Il y a une réponse et la réponse est OUI ! Pour un chercheur en fait, c'est une non question, l’IA est sexiste. L’IA reflète les biais de la société, donc elle est sexiste. »

Tanya PERELMUTER, co-fondatrice et directrice de la stratégie et des partenariats de la Fondation Abeona (collectif pour une IA responsable et inclusive) ajoute que :

« l'IA, en soi, n'est pas sexiste, parce que c'est une technologie. Par contre, elle est programmée par des humains, et elle est entraînée sur les bases des données qui sont des reflets de ce qui se passe dans notre société aujourd'hui »

D’après elle, il faut donc un contrôle social et politique des algorithmes :

« si les femmes sont mieux représentées dans les métiers technologiques […] et si la représentation de notre société est plus égalitaire, alors les technologies et l’IA le seront aussi. »

Ainsi, à la question du sénateur Pierre Henriet, de savoir où se situe réellement le processus de création du sexisme dans l’IA, Hélène Deckx Van Ruys reprend que « 88 % des algorithmes sont créés par des hommes qui inconsciemment ou non, reproduisent [leur manière de penser] ».

Selon Jessica Hoffmann, il y a toutefois des moyens pour lutter contre, comme la diversité (hommes-femmes) dans les équipes. Enfin, Elyes Jouini dit que « si vous n’êtes pas choqués par les résultats produits […] si vous ne reparamétrez pas votre outil [dans le sens de la diversité] en disant je veux un peu plus de ceci ou de cela, [rien ne va changer] ».

Les filles doivent donc s’investir dans les métiers de l’IA pour réussir à faire avancer l’égalité femmes-hommes !

Comment faire de l’IA un atout pour l’égalité femmes-hommes ?

Mais, loin d’être négative, l’IA peut, au contraire, être au service des femmes et de l’égalité avec les hommes.

C’est ce que pense Laure Lucchesi (spécialiste des politiques publiques du numérique, notamment auprès du Premier ministre) :

«[…] dans le domaine du travail et de l'emploi […] l'utilisation de l'intelligence artificielle générative va permettre […] d'automatiser un certain nombre de taches et notamment administratives […] rébarbatives, de la pénibilité, de la surcharge de travail […] typiquement, pour faire des comptes rendus de notes, des synthèses, on va pouvoir quand même avoir un fort gain de productivité »

Puis elle cite le cas, que nous connaissons bien au Sénat, de la gestion et du traitement des amendements (corrections ou ajouts demandés par les sénateurs et les députés) à la loi de finances chaque année : « un système pour la gestion des amendements […] a été testé [et] a permis de traiter 10 000 amendements de façon extrêmement efficace, à la fois […] pour [les] attribuer […] au bon service, les regrouper par catégorie, mais aussi en faire des résumés ».

Si elle reconnait qu’un certain nombre de postes pourraient être menacés, notamment dans l’administration publique (les fonctionnaires) où les femmes sont particulièrement présentes (63% des effectifs), elle ajoute « qu'on voit aussi des opportunités d'augmentation, en tout cas, de venir compléter ces métiers-là. Et donc, il y a quand même une partie de réduction de charge [de travail] et ça libère du temps pour faire autre chose ».

Puis elle cite un nombre de cas où le public et les agents pourraient y gagner : une écriture égalitaire des documents et des textes, l'accès au service public et au droit (grâce à des robots pour répondre aux questions du public et les traiter plus rapidement), le temps de parole entre les hommes et les femmes dans les médias et (un projet testé mais abandonné) sur l'indemnisation des préjudices corporels par la justice (où, aujourd’hui, il y a des différences terribles entre hommes et femmes).

« Cultiver la diversité, c'est un impératif éthique [moral], mais c'est un impératif économique. Les entreprises diversifiées ont 25 % plus de chance de surpasser leur concurrente […] les entreprises avec une diversité supérieure à la moyenne, génèrent plus de revenus, grâce à l'innovation, 45 % [de] plus » dit ensuite Sasha Rubel, anthropologue (qui, malgré son prénom, est une femme).

Puis elle ajoute :

« on a besoin que les équipes qui construisent les systèmes de IA soient aussi diversifiées [hommes-femmes] que[ceux] qui utiliseront ces systèmes. Sinon, on ne va pas s'en sortir . […] ce n'est pas simplement une question de compétence, c'est aussi une question d'investir dans les femmes. […] il y a un manque, justement, d'investissement, des fondatrices femmes et un manque d'éducation sur comment transformer ces idées géniales en action avec la connaissance nécessaire d'entreprises.
Il faut « […] accompagner […] des entrepreneurs féminins [pour leur permettre de] transformer leurs idées pour aller jusqu'au marché »

Conclusion

Pour conclure, la sénatrice Dominique Verrien raconte que lors d’une rencontre avec des entrepreneurs d’entreprises de la Tech on lui a posé la question

« […] comment on va faire pour avoir des femmes [,] des directeurs femmes ? […] Et là, je lui ai expliqué que le jour où il cherchera des directrices, il en trouverait probablement plus facilement, il trouverait plus facilement des femmes […] ça montre bien que c'est dans la tête, […] tant qu'on cherche des hommes, on a du mal à trouver des femmes, ce qui est assez logique […] tant qu'on n'aura pas fait évoluer ça, on [aura] encore une petite difficulté. Donc, je pense qu'il y a encore un peu de travail à faire, effectivement, dans nos esprits »

Il n’y a donc aucune raison valable pour qu’il existe, dans le domaine de l’IA, une différence entre les femmes et les hommes. Il faut que la société, les sociétés, les entreprises, s’en aperçoivent et que les filles investissent plus massivement ce domaine.